Douce imposture de Noël, chap. 1
Hello ! En 2020, en attendant Noël, j’ai fait de ma romance de l’hiver, Douce imposture de Noël, un calendrier de l’avent. Chaque jour du mois de décembre, j’ai publié sur ce blog un des chapitres de cette romance (le livre compte 60 chapitres en tout). Vous pouvez encore les lire, il suffit de cliquer sur le lien à la fin de chaque chapitre. La liste des chapitres et des liens est également consultable ici.
C’est une histoire de « fausse petite amie », avec un grand château sous la neige, des familles bien dysfonctionnelles, et des galipettes dans la 2e moitié du récit. Le livre est bien sûr disponible sur une grande sélection de plateformes de distribution. Il existe aussi une intégrale de la série, disponible ici. Bonne lecture !
CHAPITRE 1
VANESSA
Je pose sur la table de nuit la tasse de café à la cannelle préparée par Clémentine, ma colocataire. Puis j’attrape le dernier muffin à la cannelle et je mords dedans, calant l’énorme morceau dans ma joue. Il est délicieux, comme tous les gâteaux que fait Clem. Je le repose à son tour, à côté du mug de café, du réveil en moumoute verte qui indique déjà midi passé, et de mon vide-poches plein de petits bijoux fantaisie.
J’avale ma bouchée. L’odeur et le goût de la cannelle saturent mes sens. Plus amusée qu’agacée, je vérifie auprès de Clem :
— Tu as encore allumé ta bougie à la cannelle ? Quand tu estimeras qu’on a assez de cannelle dans notre vie, tu me le diras, hein ?
Depuis le 15 novembre, Clem s’achète des bougies à la cannelle et elle les fait brûler en continu. Elle a aussi deux mini-sapins (en carton, écologie oblige), trois calendriers de l’avent, dont un avec des photos de pompiers dénudés. Elle aime bien cette période de l’année, et elle en profite à fond. Et surtout, elle ADORE la cannelle.
— Désolée, dit-elle avec une mine contrite, je sais que ça fait peut-être beaucoup d’un coup. Mais mon frère Mick est allergique, alors, à partir de ce soir, c’est fini pour moi jusqu’à l’an prochain.
— Dur, dur.
— M’en parle pas.
C’est le premier samedi des vacances. Je suis en train de remplir mon sac de voyage tandis que Clem, prête depuis belle lurette, me regarde faire, vautrée sur mon dessus de lit en peluche rose qu’elle caresse distraitement de sa longue main fine.
Clem est aussi pâle que je suis café au lait et aussi grande que je suis petite. Mais ça ne nous empêche pas de nous ressembler beaucoup. Nous partageons une même passion pour les couleurs, la vie, la musique, la danse, l’art et le bricolage. On s’est rencontrées l’an dernier dans un cours d’économie d’un ennui lancinant. Elle a fait une blague sur le prof. J’ai répondu par une blague sur l’économie. Elle a proposé d’aller prendre un café. Une heure plus tard, on était meilleures amies. Encore quelques mois de fous rires partagés et de discussions à bâtons rompus, et on se prenait une coloc ensemble.
L’appartement que nous occupons dans ce quartier animé de Nantes est à notre image. Tout ce qui n’a pas encore été customisé le sera probablement d’ici peu. Un de nos hobbies préférés consiste à faire les puces et les brocantes (un peu obligées, avec notre budget étudiant), puis à transformer nos acquisitions en œuvres d’art. La peinture dorée, le fer à souder et les aiguilles à crocheter sont nos meilleures amies.
Sur la patère fabriquée avec un vieux robinet en cuivre, j’attrape la chemise en flanelle à carreaux, toute douce et confortable, pour la mettre dans mon sac. C’est la violette, ma préférée, celle qui va très bien avec mes bottes à talons et mon jean slim noir.
— T’exagères, estime Clem. T’as déjà au moins quatre chemises de bûcheron dans ton sac. Je les ai comptées. Tu pourrais faire un effort vestimentaire, quand même.
C’est vrai que mon bagage contient plus de pyjamas en pilou-pilou que de tenues de vamp. Pour une seule et bonne raison :
— Je vais passer des vacances à la ferme. C’est pas le moment de sortir mon fourreau Yves Saint Laurent, tu vois ? J’en aurai pas besoin pour séduire les chèvres. Une pomme suffira.
Clem soupire en agitant ses mèches blondes ultra-lisses et en faisant papillonner ses grands cils d’un air languide.
— Mais imagine que le prince charmant passe par le Châtelet cette semaine, et que toi, tout ce que tu aies à te mettre, ce soit un déguisement de garde forestier ?
Elle ne se rend pas compte que seul un garde forestier passerait par hasard par le Châtelet, mon village au fin fond de la Haute-Marne, à cette époque de l’année. Je la scrute, incapable de décider.
— T’as mis des faux cils ? Pour rentrer chez tes parents ?
Elle me dévisage avec indignation, mais ne dément pas.
— Écoute, poursuit-elle non sans passion, on ne sait jamais quand l’amour ou le destin va frapper.
— T’es vraiment incroyable.
Pour moi, la trêve des confiseurs, c’est une période hors du temps pendant laquelle rien d’heureux, d’amusant ou d’intéressant ne peut survenir. Tout à l’heure, je prendrai la route pour rentrer chez ma tante. Je n’attends rien du tout de ces vacances. Je serai contente d’en revenir en ayant fait mes devoirs pour début janvier. Dès mon retour, je reprendrai mes nombreux projets là où je les aurai laissés, avec délectation, et la vie pourra suivre son cours. Mais pour l’instant, le mieux que je puisse viser, c’est juste d’avoir la paix. Alors, les rêves de princesse de ma coloc… pour une fois, je me désolidarise de son délire.
Clem, cependant, a décidé de prendre les choses en main. Plantée devant ma penderie, elle sélectionne des fringues que je suis sûre, à deux cents pour cent, de ne jamais pouvoir porter à la campagne. J’essaye de l’arrêter.
— Stop. Clem. Moi aussi je t’aime, et tu vas me manquer.
— Allez, insiste-t-elle. Pour me faire plaisir.
Elle doit partir d’ici une heure, avec un des rares TGV à circuler en ce 22 décembre, à cause d’une grève. Sa famille habite à Lille, alors, elle changera à Paris et elle croisera les doigts bien fort.
Sa valise de fringues est prête depuis deux semaines, tout comme son sac de cadeaux. Clem vient d’une famille nombreuse, soudée, et envahissante. Elle s’en plaint souvent, mais secrètement, je l’envie. Moi, j’ai juste ma tante Mia, son mari bourru, Paul, et c’est à peu près tout.
— Je ne t’ai jamais vue si rabat-joie, proteste-t-elle. Ça ne te ressemble pas.
Je comprends son désarroi. Je la suis toute l’année dans les aventures les plus hautes en couleur, puis subitement au moment de Noël, je renâcle : c’est vrai que c’est louche. En temps normal, je suis toujours partante. Coller des ampoules multicolores autour du miroir de la salle de bain ? Oui ! Suspendre des pots de plantes grimpantes partout au plafond et y accrocher des petits nœuds, des strass et des boucles d’oreilles vintage recyclées ? Bien sûr ! Tricoter des chaussettes à motifs psychédéliques et m’emporter au point qu’à la fin elles vous arriveront au-dessus du genou ? Plutôt deux fois qu’une !
Par contre, dès qu’on parle sapin, boules et chaussettes de Noël, il n’y a plus personne. Ce n’est pas que je n’adhère pas à l’esprit de la nativité. Enfin, disons que je ne la déteste pas activement, comment détester quelque chose de coloré, de généreux, de lumineux et de convivial ? Le problème, c’est que personnellement, je suis abonnée à une version sinistre de cette fête, alors, je préfère encore l’ignorer. Je laisse Clem décorer notre appartement déjà légèrement surchargé, au point qu’on se croirait parfois dans une boule à facettes, mais je ne m’investis pas dans le processus.
Clem a réussi à me refourguer quelques jupes et collants en dépit du bon sens, et à les entasser de force dans mon sac. J’ai fini par la laisser faire : c’était plus simple.
— Tu as pensé à tes cadeaux ?
— Ouais, confirmé-je sans entrain.
Elle pousse un soupir théâtral.
— Vanessa. Je me fais du souci pour toi.
— Pourquoi ça ?
— Tu ne couverais pas une petite dépression ?
— Non. Je t’assure que non. C’est juste l’approche des fêtes. Je ne suis pas fan. Ça ira mieux après les vacances, vraiment.
Au fond, Clem sait pourquoi je me sens à côté de mes pompes. Elle sait que les fêtes s’accompagnent pour moi de visites familiales incontournables qui me rendent triste. Nous avons déjà parlé de tout ça. Alors, elle n’insiste pas, et elle se contente de me faire un gros câlin.
— J’ai mis ton cadeau tout au fond. C’est un pull noir pile à ta taille. Moulant juste ce qu’il faut. Ça ira avec tout. Tu peux même le porter avec tes chemises bien butch si ça t’amuse. Aucun problème. Je t’adore quoi que tu fasses.
Je lui rends son étreinte et je lui souhaite un bon voyage, puis elle part prendre son train.
Le silence vient tout juste de retomber sur le petit appartement lorsque mon téléphone se met à sonner. C’est ma tante Mia.
— Tu es sur la route ?
Mia est toujours très directe, et pas très portée sur le bavardage.
— Non, réponds-je. Je pars plus tard, à seize heures.
— Dans la voiture de ce type que tu n’as jamais vu ?
— C’est ça, soupiré-je.
Via un site de covoiturage, j’ai trouvé un compagnon de voyage qui a sa propre auto et se rend dans la même minuscule ville que moi. En plus, il est étudiant à la même fac que moi, ici, à Nantes. Le seul hic, c’est qu’il ne pouvait pas partir avant le milieu d’après-midi.
— Pourquoi si tard ? demande Mia sur un ton inquisiteur.
— Il avait une contrainte ce matin. Écoute, il ne me fait même pas payer l’essence. C’est un bon plan, surtout avec les grèves.
— Mais on annonce de la neige pour ce soir, fait remarquer Mia. Ce n’est pas une bonne idée de tarder comme ça.
— C’est pas sûr, et en plus, on sera déjà arrivés. Ne t’en fais pas.
Mia grommelle quelque chose dans sa barbe, et je sais bien qu’elle s’en fait quand même. Elle se fait toujours du souci pour tout. Alors, il faut qu’elle trouve quelque chose à critiquer pour évacuer un peu de son stress.
— Il vient te chercher au moins ?
— Non, c’est moi qui dois le rejoindre.
— Pff, exhale-t-elle. Alors que c’est lui qui est en voiture, tu dois te trimballer ton sac jusque chez lui ?
Fondamentalement, je suis d’accord avec elle, mais je ne vois pas l’intérêt de râler.
— Ne te fais pas de souci, Mia. J’arriverai ce soir comme promis.
Je raccroche et je passe dans la salle de bain. Le miroir à l’éclairage funky me renvoie l’image catastrophique que j’attendais : mes cheveux partent dans tous les sens aujourd’hui. Je n’ai plus qu’à les discipliner avec une huile adaptée, et à les entortiller bien serrés. De toute façon, je ne détache pas mes cheveux en présence des inconnus. La plupart des gens regardent les coiffures comme la mienne de travers. Trop exotique, trop dingue. J’ai une bonne afro et bien qu’on m’ait déjà dit que mes cheveux sont magnifiques, c’est radicalement différent de ce qu’a Clem, par exemple, et très certainement, de ce qu’attendent les profs, les administrations, et les employeurs potentiels. La plupart du temps, je me contente donc de rabattre sagement cette voilure exubérante, et c’est ce que je fais aujourd’hui.
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