Douce imposture de Noël, chap. 2

Bienvenue dans mon calendrier de l’avent : tous les jours un nouveau chapitre de ma romance de Noël ! Le chapitre précédent est ici. La liste des chapitres en ligne est ici.

CHAPITRE 2

VANESSA

Le rendez-vous n’est jamais qu’à un quart d’heure à pied de notre appartement, un peu plus loin de la fac dans un quartier chic. Il a fait un froid mordant toute la semaine, mais maintenant l’atmosphère sent l’humidité, la neige. J’hésite en arrivant au coin de la rue. Je me suis peut-être trompée ? Il n’y a que de grandes villas ici, des maisons d’architecte datant du début du siècle, avec des jardins gigantesques. Au moment où je m’arrête devant le numéro 15, perplexe, un type en manteau noir ouvre le portail et sort sur le trottoir, un gros sac en cuir sur l’épaule et un autre à la main. Il a mon âge, un peu plus peut-être, et il est très grand. Son regard glisse sur moi mais il ne me calcule pas du tout. Je me raidis et j’attends en me sentant gauche, plantée là sur le trottoir en attendant qu’il percute. Il s’écoule quelques secondes avant qu’il tourne à nouveau vers moi son regard interrogateur. 

Il a des yeux splendides, d’un gris très clair constellé de facettes bleues. Son nez fin, presque aquilin, donne beaucoup de personnalité à son visage. Sa peau est pâle, ses lèvres pleines recèlent sûrement des expressions multiples. Je devine d’ici sa moue boudeuse, et aussi son sourire un peu cruel, sous l’expression neutre qu’il a en sortant de chez lui. On a envie de le dessiner. J’ai dû le regarder d’un air pensif ou pire encore, esthétiquement inspiré, parce qu’un sourire un peu condescendant s’est formé au coin de sa bouche. 

Je m’éclaircis la gorge et je lui souris. 

— C’est toi, Victor ?

Il me répond par un froncement de sourcils avant même d’accuser réception de ma question. 

Je décide de lui accorder le bénéfice du doute, non, il n’est pas forcément snob, c’est juste qu’il était perdu dans ses pensées. Mais j’enregistre malgré tout ma première impression, et il faut bien avouer qu’elle n’est pas extraordinaire.

— C’est moi, acquiesce-t-il enfin avec une certaine gravité.

Probablement, ne puis-je m’empêcher de noter, parce que ça revêt à ses yeux une certaine importance d’être lui. Il a forcément conscience de sa beauté, pas vrai ? On ne peut pas ressembler à ça et ne pas être au courant. Tout le monde lui dit sans doute depuis toujours à quel point il est beau. On lui déroule le tapis rouge. C’est évident.

— Enchantée, dis-je en tentant d’être chaleureuse, juste ce qu’il faut. Moi, c’est Vanessa. On s’est parlé au téléphone hier. Merci de partager ta voiture avec moi. 

J’ai ajouté cette dernière phrase pour lui rafraîchir la mémoire, pour mettre le pied dans la porte, à cause de ma crainte instinctive d’être rejetée maintenant qu’il m’a vue. Mais il dit :

— Oh ! Bien sûr. Pas de problème. Tu es sûre que tu as le permis ?

Hein ?

— Évidemment que oui. Je te l’ai dit hier au téléphone. 

— Euh. Oui. Pardon. C’est juste que tu as l’air terriblement jeune.

Je hausse les épaules. 

— Je suis majeure et j’ai mon permis.  

Je n’en reviens pas de devoir me justifier. Je parie qu’il n’aurait jamais insisté si j’avais été un mec, ou si j’avais été blanche.

— Super, dit-il. 

Pour lui cette conversation n’a aucun enjeu. Il faut que je me calme, ça ne sert à rien de m’énerver, de surinterpréter. On s’en fout si mon chauffeur est assez canon pour poser dans un magazine. On s’en fout s’il n’est pas très intelligent ou ouvert d’esprit.

— Rassure-moi, plaisanté-je, toi aussi tu as ton permis ?

Il louche en répondant : 

— Ouais, mais c’est aussi bien qu’on soit deux, parce que ça m’endort de conduire. 

Je le dévisage, incertaine. C’est une plaisanterie ?

— Ta mission, enchaîne-t-il, c’est de me tenir éveillé et de conduire sur la moitié du trajet. 

Oh, génial, il va vouloir que je lui fasse la conversation. Moi qui pensais profiter du voyage pour bâcler un devoir d’anglais et m’avancer un peu.

J’ai dû paraître déroutée ou déçue et ça le fait rire. Il se met en mouvement. 

— Viens, allons-y, ils annoncent de la neige ce soir sur le plateau de Langres, on ferait aussi bien de se dépêcher.

Je fais la grimace. J’entends encore Mia. 

Ce n’est pas très prudent, Vanessa, un départ aussi tardif, imagine si vous étiez coincés par la neige ? Imagine si vous aviez un accident ? 

Je secoue la tête pour faire disparaître la petite voix sous mon crâne.

En fait, les yeux de Victor ne sont pas gris. Je crois qu’ils sont plutôt bleus, et jaunes. Un jaune très pâle, là au centre, et pas juste un cercle autour de la pupille, non, une vaste tache qui couvre la plus grande portion de l’œil. Autour c’est du bleu délavé. L’impression générale c’est du gris, mais en réalité, il a les yeux jaune layette. Je regarde ailleurs. Je m’en fous, fondamentalement, de la couleur de ses yeux, même si elle est complètement dingue. 

— Viens, dit-il, ma voiture est là-bas. 

D’habitude, les étudiants conduisent des Twingo ou de vieilles Peugeot, mais Victor a une Mini. C’est un choix bizarre car je dirais que c’est trop petit pour lui. Ses genoux doivent presque toucher le volant. 

— C’est ta caisse ? lui demandé-je, dubitative. 

Il explique, avec une moue aussi gracieuse que dédaigneuse : 

— Ouais. C’était celle de ma sœur, Nina. Elle n’arrive plus à y rentrer tous ses mômes, alors, je lui ai piquée pendant qu’elle regardait ailleurs.

Je ne vois pas trop ce que je pourrais répondre à ça, donc je me contente de hocher la tête, de poser mon sac à côté du sien dans le coffre, puis de l’ouvrir pour en extraire le sac en tissu qui contient mon pique-nique — une gourde d’eau et quelques sandwichs, des pommes. 

J’ai prévu large pour en offrir à Victor à tout hasard, mais maintenant que j’ai échangé quelques mots avec lui, je ne crois pas que mon frichti sera son style. 

— Tu veux conduire en premier ? demandé-je. 

Il enlève son manteau et sort un smartphone luxueux, dernier cri, de la poche intérieure.

— Oui, dit-il. Parce qu’après je vais m’endormir. Je ne rigole pas. Quand on m’empêche de bouger, j’ai tendance à sombrer rapidement.

— OK, fais-je avec un imperceptible haussement d’épaule, avant d’aller prendre place côté copilote. 

Et c’est parti pour traverser la France d’ouest en est dans une Mini sous la neige avec un type canon mais un peu supérieur et possiblement narcoleptique, afin d’aller voir ce qui me reste de famille et essuyer le feu glacial de sa désapprobation.

Ô joie.

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