Douce imposture de Noël, chap. 8
Tous les jours du 1er au 25 décembre 2020, je publie ici sur mon blog un nouveau chapitre de ma romance de Noël. Elle est aussi disponible sur plusieurs sites (Amazon, Kobo, Apple Books…)
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VICTOR
Qui est cette fille qui vient de m’ouvrir la porte ? On dirait Vanessa, mais elle s’est métamorphosée du tout au tout. Elle a enlevé sa doudoune orange. Elle a toujours ses bottes roses à gros pompons, mais je n’ai plus du tout l’impression qu’elle ait douze ans. Et pas seulement parce que, libérée du manteau informe, elle dévoile à présent en sous-pull violet un corps qui n’a absolument rien d’enfantin. Je suis un type normal, et même si je garde les yeux vissés sur son visage, je suis bien obligé de noter qu’elle a des formes, des formes voluptueuses qu’on ne pouvait pas soupçonner sous la tenue hivernale un peu caricaturale.
Et puis, il y a ses cheveux — une masse vaporeuse, aérienne, mouvante, qui défie la gravité et la norme, un truc complètement dingue qui explose d’énergie et de liberté et qui donne envie de rire, de danser, de chanter, de parler fort. Sérieusement, c’est fou l’effet de cette tignasse. On dirait qu’elle a une personnalité à part entière.
À cause de cette transformation physique, la Vanessa de tout à l’heure et celle de la chambre d’hôtel semblent être deux personnes complètement différentes.
Elle a suivi mon regard vers ses cheveux et elle porte la main à ses mèches pour les recoiffer. Puis elle déroule l’élastique qui enserrait son poignet, et elle rassemble cette masse extraordinaire en une torsade hyper serrée. J’ouvre la bouche pour lui dire d’arrêter, de venir comme ça, de laisser ses cheveux en liberté, qu’il y a des choses qu’il ne faut pas essayer de dompter, mais franchement, ce serait outrepasser mes droits. Elle fait ce qu’elle veut avec ses cheveux. En l’occurrence, elle en fait un chignon horrible qui lui rétrécit la tête de moitié. Ainsi coiffée, elle m’emboîte le pas dans le couloir avec un sourire un peu crispé, et je me demande ce qu’elle a pu lire dans mon attitude pour se sentir obligée de faire ça.
Puis nous arrivons à l’ascenseur et je comprends que j’ai raté le coche, que j’aurais dû me montrer plus spontané.
Ou bien peut-être pas. Après tout, ce n’est pas vrai qu’il faut laisser ses instincts les plus fous cavaler au galop. On a bien vu où ça m’avait mené avec Irène. Vanessa a sans doute raison quand elle s’attache les cheveux. On lui a sûrement déjà fait des remarques, je ne suis pas naïf au point de m’imaginer que les gens sont tolérants avec les cheveux atypiques ou exotiques. Dans les magazines de mode, on adore l’excentricité, mais dans la vraie vie, les convenances et toutes les figures de l’autorité vous ramènent sûrement dans le rang à toute vitesse. C’est déprimant, mais c’est une réalité.
Le bar est désert mais hospitalier, avec toutes les bougies qui brillent sur les petites tables rondes, et ces étoiles en bois peintes qui sont suspendues en pluie au plafond. C’est la patronne qui assure le service. Elle a renvoyé tout le personnel pour la nuit dès que la neige a commencé à tomber, pour ne pas mettre les employés en danger. Vanessa hoche la tête d’un air entendu. Nous commandons deux verres de vin. Vanessa prend le moins cher et elle pense que je ne m’en rends pas compte.
Mon téléphone tinte et me rappelle aux intrigues du château. J’ai prévenu tout à l’heure que je dormirais sur le chemin, et bien sûr, mon cousin Ludo en profite aussitôt. Il m’envoie un SMS qui va droit à l’essentiel.
LUDO : Si tu n’es même pas là cette nuit, je prends la chambre rouge.
Je soupire et je croise le regard de Vanessa qui m’observe.
— OK, dit-elle, si tu veux me faire boire, il va falloir que tu condescendes à faire la conversation. Sinon, je me barre.
Je ris.
— Pardon. Ça doit être la tempête qui me perturbe.
C’est faux et je vois bien qu’elle n’est pas dupe. Elle prend son verre et commence à se lever.
— Si tu ne veux pas discuter, dit-elle, ce n’est pas un problème. Mais il y a un bain moussant qui m’appelle, et je peux très bien déguster ce sympathique petit Languedoc en tête à tête avec la baignoire, alors, j’espère que tu ne m’en voudras pas si….
Je ne veux pas qu’elle parte. J’ai besoin de compagnie, et si elle part, elle emportera avec elle cette énergie qui me rend curieux. J’ai envie de la joie de vivre et de la liberté que j’ai entrevue tout à l’heure quand je suis allé frapper à la porte de sa chambre et que je l’ai surprise avec ses cheveux fous.
— Pourquoi tu attaches tes cheveux comme ça ?
C’est sorti tout seul. Les mots ont franchi mes lèvres de leur propre mouvement, et maintenant, je suis un peu embarrassé.
— Désolé. Je sais que ça ne me regarde pas.
— En effet.
— C’est juste que… ils sont magnifiques. Ça ne doit pas être confortable de tirer dessus comme ça.
— Bof, admet-elle. Mais si je ne le fais pas, ça part dans tous les sens.
— Moi, ça ne me dérange pas. Au contraire. Je les trouve bien comme ils étaient tout à l’heure.
Elle fronce les sourcils, prend un instant pour évaluer la situation, puis cède.
— OK. Mais c’est un peu n’importe quoi aujourd’hui.
— Ils sont géniaux, ne puis-je m’empêcher d’admirer, en regardant la masse vaporeuse qui s’échappe de la pince.
Elle me dévisage avec des yeux plissés.
— Ne me dis pas que tu n’avais jamais vu de cheveux afros.
— Si, bien sûr que si.
C’est juste que les siens sont particulièrement… je ne sais pas. J’aime leur volume pas sage, leur légèreté. C’est difficile de dire pourquoi.
— Du moment que tu ne plonges pas tes doigts dedans pour voir comment ça fait, ronchonne-t-elle.
— Les gens se permettent vraiment ça ? fais-je semblant de m’étonner, alors que c’est précisément ce que j’avais envie de faire.
— Ouaip.
Elle hausse les épaules, puis elle désigne du menton mon téléphone que j’ai abandonné sur la table, face contre le bois.
— C’est encore ton cousin qui te harcèle ?
J’acquiesce.
— Comme je ne suis pas là, il me pique ma chambre.
Elle a une sorte de sourire réprobateur, un peu narquois.
— Il y a des implications spéciales dans cette guéguerre, non ? Genre il te pique ta meuf, ta chambre, ton droit d’aînesse, ton identité ?
Je fais la grimace.
— Un truc du genre. Mais Irène n’est pas « ma meuf ».
Elle me considère un moment, pensive.
— Vous n’êtes plus ensemble, mais il y a encore quelque chose entre vous ?
Je cligne des yeux en la dévisageant. Quand elle retire l’élastique de ses cheveux, cette fille se transforme en quelqu’un d’autre. Rien à voir avec le petit bout de gonzesse sage et gentille qui conduisait si prudemment ma voiture tout à l’heure. Celle-là avait quelque chose d’excentrique mais elle était sur la réserve. La fille qui est assise en face de moi maintenant, c’est vraiment quelqu’un.
Je soupire, et puis je passe à table. Ce qui n’était pas audible tout à l’heure le devient, par la magie d’un verre de vin rouge, de la neige au dehors, et de mon interlocutrice aussi.
Elle avait raison. Se confier à une inconnue, c’est quelque chose de puissant.
— J’ai eu beaucoup de mal à laisser partir cette fille, avoué-je, et je ne suis pas sûr d’y être complètement parvenu. Je redoute la confrontation. Pour ma propre, euh, sérénité, j’aurais préféré ne jamais la revoir.
Les yeux de Vanessa s’arrondissent.
— Ouille. À ce point-là ?
Je hoche la tête. Oui, à ce point-là.
Elle fronce les sourcils.
— Et ton cousin, il le sait ? Il l’a draguée en connaissance de cause ?
— Je ne crois pas. Je ne peux pas être sûr qu’il mesurait l’étendue de ma passion pour Irène. Je n’en ai pas parlé à tout le monde, et Ludo n’est pas vraiment une personne à qui j’ouvre mon cœur.
— Mais quand même, estime-t-elle, il y a quelque chose de vraiment vil dans ce qu’il fait, là, non ?
— Un peu, oui.
— Tu veux dire complètement.
Évaluer la situation avec son point de vue totalement extérieur crée à la fois un soulagement et un malaise. Je suis content de ne pas être seul avec mon histoire. Mais je commence aussi à avoir honte à nouveau, de m’être laissé embarquer par Irène, et puis de n’avoir pas réussi à me détacher d’elle, et maintenant, d’être confronté à la malignité de Ludo sans rien pouvoir faire. Ça me rend dingue.
Est-ce que Vanessa s’en aperçoit ? En tout cas, elle ne me reproche pas de me laisser faire ou d’être trop gentil. Elle se montre infiniment plus subtile avec moi que je ne le suis avec mon frère Raymond dans des situations similaires.
— Mon invitation à la ferme tient toujours, tu sais, dit-elle avec douceur. Si jamais tu veux t’échapper de tout ça pour en parler.
Et cette fois, parce que les choses ont évolué entre nous au cours de l’après-midi, et que je considère désormais Vanessa comme une présence amicale, j’accepte sa proposition.
— Je passerai te rendre visite, promets-je.
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