Douce imposture de Noël, chap. 16
Tous les jours du 1er au 25 décembre 2020, je publie ici sur mon blog un nouveau chapitre de ma romance de Noël. Elle est aussi disponible sur plusieurs sites (Amazon, Kobo, Apple Books…) Pour accéder aux chapitres précédents et à toutes les infos sur le livre, c’est ici.
VANESSA
Après ce que j’ai vu aujourd’hui, après ce que Victor vient de me raconter, j’ai l’impression que l’abandonner comme ça serait de la non-assistance à personne en danger. C’est presque un peu idiot de penser ça, car enfin objectivement, il est majeur et vacciné, avec une famille aimante et fortunée. Mais son cousin est affreux, et cette fille, quel poison.
Une idée tordue se forme déjà dans ma tête, une idée absurde et qu’il serait impossible de formuler de manière habile. Alors, je me lance sans prendre de pincettes, et advienne que pourra.
— Si tu veux, je peux continuer à faire semblant d’être ta copine pendant quelques jours, juste pour les tenir à distance, dis-je avant de balancer ma boule de neige contre un arbre.
C’est une proposition idiote, j’en suis parfaitement consciente, et je n’ai aucun intérêt à la faire, si ? À part pour jouer de manière acceptable mon rôle de « présence amie », pour Noël. Je n’ai rien d’autre de précis à accomplir pendant les vacances, à part potasser des cours de finance dans lesquels j’ai du mal à me reconnaître. Je m’ennuie comme un rat mort quand je suis ici. Pourquoi ne pas en profiter pour venir en aide à un ami ?
Victor me dévisage, sourcils froncés. Il se demande sans doute si je suis sérieuse. Même dans la pénombre, ses yeux paraissent incroyablement limpides. La lumière de la lune qui se réverbère dans la neige éclaire notre discussion improbable d’une lueur qui pourrait sembler artificielle. Oui, on se croirait dans un studio, sur le tournage d’une comédie romantique. Sauf que dans notre cas, personne ne va tomber amoureux. On va même faire tout le contraire. On va se soutenir pour se tenir à l’abri de l’amour. On finira l’année en bon état psychologique, pas en dépression, pas fragilisés par les agressions de personnes toxiques, et tout se terminera bien.
Évidemment, Victor n’est pas stupide. Il pose la question évidente :
— Pourquoi est-ce que tu ferais ça ?
Je lui souris, et il ajoute :
— Je veux dire, qu’est-ce que tu aurais à y gagner ?
L’espace d’un instant, je me demande s’il s’imagine que j’en veux à sa vertu, alors, je précise :
— Je veux juste t’aider, et échapper à l’ennui mortel de la ferme. Parce que je n’ai pas forcément une très haute idée de la passion amoureuse, mais l’amitié, ça oui, j’y crois dur comme fer. Alors, quand tu m’as élevée au rang de « présence amicale » — une promotion incroyablement généreuse de ta part pour laquelle je te remercie au passage — tu as déchaîné mes instincts amicaux. Je prends soin de mes amis, moi. Je n’ai pas envie de les laisser seuls en difficulté.
Il incline la tête.
— T’es un peu dingue, toi aussi, non ?
J’éprouve un pincement de cœur, parce qu’il dit ça très gentiment, et qu’il ne sait pas ce que cela évoque pour moi.
— Ce n’est pas de la dinguerie, dis-je. Écoute, je te promets que je ne suis pas une folle qui va te poursuivre dans le parc avec une paire de ciseaux si tu me dis non. Et de toute évidence, tu fais ce que tu veux. Mais si tu penses que tu as besoin d’une présence amicale à tes côtés pour ce Noël, et que tu me juges susceptible de faire l’affaire, c’est offert de bon cœur.
— Et ensuite ? veut-il savoir.
— Ensuite, on se sépare bons amis, ou bonnes présences amicales. On laisse passer un délai raisonnable pour ne pas perdre la face, puis on fait savoir à ta famille que ça n’a pas marché entre nous. La vie reprend et le temps guérit les blessures.
Il se tait un moment. J’en profite pour former une deuxième boule de neige. Je sais que ma proposition est complètement farfelue, que je me mêle de choses qui ne me regardent pas, peut-être que je me raconte juste des contes de châteaux pleins d’intrigues pour peupler mon Noël ennuyeux de fille sans parents. Mais en fait, je n’ai pas grand-chose à perdre. Et là, maintenant, sous la lune féérique, dans le grand parc froid, c’est le moment idéal pour formuler des propositions de contes de fées, même si l’on doit s’en mordre les doigts plus tard.
C’est aussi le moment de les accepter, si j’en crois la réponse de Victor, qui me parvient finalement quelques minutes plus tard, alors que je joue à respirer l’air glacé en le laissant doucement anesthésier mon nez.
— Je suis partant, dit-il. Je pense que c’est une idée complètement bancale. Mais je pense aussi que j’ai besoin, en effet, d’une alliée à mes côtés. Et puis, si maintenant on dit à tout le monde qu’on n’est pas ensemble, ils vont tous te regarder de travers, et je ne veux pas me passer de ta compagnie.
Je me tourne vers lui.
— Tu ne le regretteras pas, Victor. Je vais te protéger.
J’ai déclaré ça avec une telle ardeur que maintenant il fait une tête bizarre, comme si malgré mes promesses, j’étais en effet un peu foldingue. Il faut peut-être que je la mette en sourdine sur l’intensité, que je baisse le volume.
— Je connais mes motivations profondes, remarque-t-il prudemment, mais je ne suis toujours pas certain de comprendre les tiennes.
Je pousse un long ricanement de sorcière de dessin animé.
— Gniak, gniak, gniak ! En fait, maintenant que tu as signé de ton sang, je dois te dire que nous sommes toutes pareilles. Chacune de nous te veut pour elle toute seule. Si je te prends sous mon aile, c’est pour faire de toi ma chose et mieux te torturer à l’abri des regards !
Et je ponctue ma tirade d’une énorme boule de poudreuse balancée en pleine poire.
Hum.
Ça passe ou ça casse.
Je dirais que ça va dépendre un peu de son sens de l’humour, et de sa tolérance au mien.
J’ai eu l’impression que ça passerait, mais je peux me tromper.
Oups.
Victor reste un instant immobile, son trop beau visage complètement couvert de neige poudreuse qui s’accroche à ses cheveux, à ses sourcils, aux poils de sa barbe du soir. Il y a même un moment où je me dis que j’ai dépassé les bornes et qu’il va me foutre dehors.
Puis il riposte. Le tir part tellement vite que je n’ai pas le temps de l’éviter, ni même de le bloquer. Il s’était baissé pour ramasser de la neige lui aussi, mais j’avais oublié qu’il avait une boule dans les mains. J’aurais pu me préparer, j’aurais même dû, mais je suis totalement prise de court. Je me mange le projectile froid en pleine face, moi aussi, ce qui me coupe le souffle instantanément. J’en ai dans la bouche, dans le nez. Choquée, j’entends Victor éclater à son tour d’un pur caquètement maniaque qui résonne dans le parc désert.
Ma blague a marché. Tout ira bien. On se comprend. La certitude d’être en train de me faire un ami et le soulagement me montent aussitôt à la tête, plus sûrement qu’un champagne, et j’explose de rire à mon tour.
— T’es mort. J’en ai rien à foutre de ton pédigrée renaissance, mec. Je vais te TUER.
J’ai du mal à former la boule suivante, parce que je rigole trop fort, ivre de la surprise divine de m’être fait un copain qui adopte mes idées à coucher dehors.
Je loupe complètement mon coup, d’ailleurs, et sa boule m’atteint simultanément dans le cou, propageant à l’intérieur de mon col des frissons qui n’ont rien à voir avec l’émoi, et tout avec l’exaltation sauvage d’une énorme bataille de boules de neige.
Un cri de guerre féroce se fait entendre du perron, c’est Raymond. Puis un aboiement éclate dans l’air du soir. Un projectile lancé à toute vapeur se rue vers nous — c’est le labrador qui accourt ventre à terre, paré à la rescousse.
— Attention ! prévient un peu tard Raymond, qui galope après le chien en riant.
Le labrador a manifestement décidé de se jeter sur Victor, qui, déséquilibré, se vautre dans la neige sous mes cris véhéments.
— Vas-y Baloo ! Mords-y l’œil !
Le chien aboie avec enthousiasme et je me précipite pour l’aider à mettre la tête de Victor dans la neige. Ce dernier ne se défend même pas, secoué de rire comme il est. Raymond porte immédiatement secours à son frère, l’affreux personnage. Heureusement, je suis rapidement rejointe par Nina qui se rue sur eux au cri guerrier de « LES FILLES CONTRE LES GARÇONS !!!! ». Elle n’essaye même pas de former des boules. Elle vise directement la jugulaire. Elle se jette sur Raymond et quand il s’abat dans la neige à son tour, elle lui fourre le col de poudreuse glacée.
Puis de courtes silhouettes lourdement emmitouflées et coiffées de bonnets de père Noël sortent en courant du château. Ce sont les enfants de Nina, l’aîné et le second, Noé et Arthur. Noé se range aussitôt à nos côtés.
— Maman, je vais te sauver !
Nina n’a pas du tout besoin d’être sauvée, mais nous acceptons les renforts malgré tout. Notre nouvelle recrue est agile et rapide. En deux secondes Victor, qui se relevait enfin, succombe à une attaque de chatouilles glacées que même sa doudoune épaisse est incapable d’arrêter.
Le petit Arthur, lui, hésite, avant de rejoindre le camp de ses oncles. L’après-midi se termine en bataille rangée, et je n’ai pas autant ri depuis un moment.
Le chapitre suivant est déjà en ligne ici.
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