Douce imposture de Noël, chap. 19

Tous les jours du 1er au 25 décembre 2020, je publie ici sur mon blog un nouveau chapitre de ma romance de Noël. Elle est aussi disponible sur plusieurs sites (Amazon, Kobo, Apple Books…) Pour accéder aux chapitres précédents et à toutes les infos sur le livre, c’est ici.

VICTOR

Dès que Vanessa a quitté la pièce, Pierrot me fait les gros yeux. 

— Qu’est-ce que tu attends pour lui courir après ? 

Je suis en train de me dire que ce stratagème est une idée vraiment idiote. Ce mensonge que nous avons laissé perdurer, prétendre que nous sommes ensemble ? Ça ne marchera jamais. Mais Vanessa est arrivée ici dans ma voiture, et la moindre des choses, maintenant, c’est de la raccompagner. 

— Je vais la reconduire chez elle, annoncé-je au cuisinier. Et toi, pas un mot de tout ça à qui que ce soit, c’est bien compris ?

— Tu me connais, répond Pierrot avec un autre de ses rires tonitruants. Muet comme une tombe. Je suis de ton côté, mon garçon. 

— Mouais. 

Je rattrape Vanessa dans le couloir principal du rez-de-chaussée. Elle s’est fait intercepter par Arielle qui l’inspecte sous toutes les coutures, occupée sans nul doute à lui reprocher ses choix vestimentaires improbables. Je m’approche. 

— Tu aurais dû mettre la petite robe qu’Irène te prêtait, dit Arielle. Sur ta peau, ça aurait été subliiime. 

C’est manifestement faux. Ce genre de couleur ne siérait pas du tout au teint de Vanessa, et Arielle doit être au courant, avec tout le temps qu’elle passe à éplucher des magazines, à assister à des défilés et à faire du shopping. C’est pour ainsi dire son occupation principale, pendant que mon oncle s’amuse à remodeler des entreprises et à « dépoussiérer » des business en fermant des usines.

— Elle est magnifique même habillée comme ça, interviens-je, conscient de n’avoir pas montré assez d’enthousiasme sur la beauté de Vanessa, tout à l’heure.

C’est juste que Pierrot m’a un peu pris de court avec sa suggestion de baiser hollywoodien. Dans le temps ridiculement court depuis que nous nous sommes rencontrés, j’ai plutôt considéré Vanessa comme une amie, un peu bizarre et farouchement protectrice, dont j’ai aussitôt eu envie de mériter la loyauté. Pas comme une fille que j’embrasse. Elle n’est pas mon genre, la présence d’Irène m’a déjà assez retourné le cerveau. Et puis, je la respecte trop, et je me respecte moi-même aussi. Pour moi, un baiser, ce n’est pas une chose banale que l’on distribue au hasard ou pour épater la galerie. Ça veut dire quelque chose. Je ne suis pas prude, mais je ne suis pas non plus le genre de type qui roule des pelles à ses amies pour un oui ou pour un non, pour leur dire bonjour ou pour leur prouver mon amitié. C’est non.

Quand Pierrot a dit que nous devrions nous embrasser pour avoir la paix, je me suis donc aussitôt rebiffé. Et Vanessa a cru que je la rejetais. Je m’en voudrais de lui avoir infligé une blessure. Il faut que je lui explique, il faut que je lui donne le mode d’emploi de ma personne pour qu’elle ne souffre pas de mon côté… taciturne, comme elle dit.

Vanessa semble plutôt lasse et je lis sur son visage qu’elle se prépare à renvoyer Arielle dans ses foyers. Comme attirés par cet instinct de famille qui leur fait détecter à cent mètres les situations croustillantes et les conflits, les autres arrivent à leur tour, déboulant de la salle de jeu. Il y a là les trois quarts de la famille. Mes grands-parents ont dû se retirer dans leur chambre pour se reposer avant le réveillon, et tel que je connais mon père, il est sans doute reparti travailler. Mais Ludo est ici, avec ses parents, Juliette et Gontran Dorcat, ce qui signifie aussi, sans doute, qu’Irène n’est pas bien loin. 

Je pense que Pierrot a raison. J’ai besoin de mettre de la distance entre Irène et moi. Et j’ai envie de dire à Vanessa qu’elle est bien plus attirante que je ne l’ai admis à l’instant. 

Vu que ce n’est pas logique, je ne cherche pas trop à réfléchir. Je me plante devant Vanessa. Je pose mes mains sur ses épaules, je la fais pivoter entre mes bras, je me penche, et cueillant son soupir étonné entre mes lèvres, je l’embrasse. 

J’entends un soupir étouffé dans le couloir, indignation ou surprise, mais je l’entends de très loin, parce que tout à coup je tombe. Pas seulement parce que Vanessa est beaucoup plus petite que moi et qu’elle doit lever son visage vers moi. 

Je tombe parce que c’est radicalement nouveau, le goût de sa bouche, la forme de ses lèvres, la surprise que je sens dans son court moment de recul, puis la franchise volontaire dans sa réponse quand elle percute ce qui se passe et qu’elle adhère entièrement. Tout à coup je prends conscience de ce que mes bras sont autour de sa taille, et ses mains dans mes cheveux, éveillant dans ma nuque des frissons non répertoriés. Sa taille est souple, mouvante, vivante. Mes mains plongent dans la cambrure de ses reins, où elles trouvent une place confortable pour se nicher. 

Je mordille sa lèvre inférieure et elle émet un petit bruit, entre un gémissement et un ronronnement très félin, qui résonne sous mon crâne et met en route une réaction en chaîne étrange. Je suis obligé de resserrer mes bras autour d’elle, de la ramener plus proche de moi, sa poitrine contre la mienne. Mes doigts trouvent sa nuque gracieuse et la naissance de ses cheveux, doux. Ça fait deux jours qu’ils m’intriguent et que j’ai envie de les toucher. Elle les a attachés avec une pince et des barrettes métalliques qui évoquent des attelles, ou des instruments de torture. Je vais au plus pressé — la pince. Je l’ouvre d’une main, je la laisse tomber au sol. Je plonge mes doigts dans les mèches douces pour les libérer, tout en caressant vaguement l’idée de tirer dessus, pour faire ployer son cou vers l’arrière, approfondir le baiser, peut-être goûter sa gorge. 

Quelqu’un toussote et je me rappelle que nous avons quelques spectateurs. Je mets fin au baiser à regret. Pourquoi ai-je dit à l’instant que je n’embrassais pas mes amies pour un oui ou pour un non ? C’est une erreur. Je pourrais embrasser Vanessa à nouveau. 

D’ailleurs j’ai un moment d’hésitation, et c’est elle qui m’écarte, fermement, des deux mains sur mes épaules. Elle me sourit, pourtant, papillonnant de ses grands cils. Échevelée, le souffle court, le rose aux joues, elle n’a plus rien d’une présence amicale. 

Mais on se calme. Nous avions déjà établi que mon corps n’était pas digne de confiance, que sa chimie erronée l’amenait à se fourrer dans des situations sans issue, à se fourvoyer durement. Lorsque je suis le cours de mon désir, il n’en sort rien de bon, c’est prouvé. 

Je prends une grande inspiration pendant que Vanessa émet un minuscule soupir qui me donnerait presque envie de recommencer. Je m’en empêche. 

Je risque un coup d’œil panoramique et j’inventorie les visages autour de nous. Dorcat-Brühler mi-choqués, mi-envieux, ma mère qui rigole, Raymond qui m’adresse un clin d’œil grivois, Nina qui arrive au bout du couloir : 

— J’ai manqué quelque chose ? 

— Je raccompagne Vanessa, annoncé-je à la cantonade. 

— Prends ton temps, surtout, glisse Raymond. 

Et l’expression sur le visage d’Irène : songeuse, avec une pointe de colère dans le frémissement de ses narines délicates. 

Le coup de théâtre est-il un succès ou un échec ? C’est difficile à dire. Je passe mon bras autour des épaules de Vanessa. 

­— Viens, allons-y.

— Attends, dit-elle en passant les mains à ses oreilles. 

Elle défait ses boucles l’une après l’autre et se tourne vers Nina pour les lui offrir. 

— Oh, fait Nina, non, je ne peux pas. 

Vanessa insiste, la main tendue, les bijoux rouges et argentés au creux de sa paume.

— Bien sûr que si. Je pense qu’elles t’iront à ravir. J’en ferai d’autres. N’hésite pas à me faire de la pub, hein. 

Ses mains remontent à ses oreilles et alors, elle prend conscience de ce que ses cheveux sont totalement décoiffés. Il reste des épingles et c’est vrai que ça ne ressemble pas à grand-chose, mais à mon avis, ça ne justifie pas non plus sa mine horrifiée, juste avant qu’elle se baisse pour ramasser sa pince, et vite, vite, rabattre en un chignon serré sa glorieuse chevelure. 

— Je suis prête, grommelle-t-elle ensuite.

Nous partons.

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