Douce imposture de Noël, chap. 20
Tous les jours du 1er au 25 décembre 2020, je publie ici sur mon blog un nouveau chapitre de ma romance de Noël. Elle est aussi disponible sur plusieurs sites (Amazon, Kobo, Apple Books…) Pour accéder aux chapitres précédents et à toutes les infos sur le livre, c’est ici.
VANESSA
Je dis au revoir au clan à la volée, et joyeux Noël aussi, et je suis Victor vers la sortie, en essayant de remettre de l’ordre dans mes idées aussi décoiffées que mes cheveux. Je me sens exposée, avec mes mèches folles devant ces gens qui ne sont pas tous bienveillants. Mais surtout, j’ai les émotions en pagaille. Pour un type réservé, limite renfrogné, qui se déclarait pas du tout attiré par moi, et refusait de jouer la comédie, Victor s’est vraiment dépassé.
Bien sûr, ce baiser de cinéma en technicolor s’est déroulé essentiellement dans ma tête. Je ne m’attendais pas du tout à ce qu’il fonde sur moi de cette façon. J’avais vaguement le moral en berne suite à notre discussion de la cuisine, et je me préparais à rembarrer ce poison d’Arielle Bloome, quand il est sorti de nulle part et s’est littéralement jeté sur moi.
Enfin, je dis qu’il s’est jeté sur moi, mais ça s’est fait sans aucun heurt, il n’y a pas eu le moindre couac dans ce baiser parfaitement synchronisé, comme si nos corps s’y étaient entraînés depuis un moment avec un coach olympique, assez pour arracher un 9.8/10 au juge soviétique.
Mon sang en bat encore dans mes tempes tandis que mon cœur cogne fort, boum boum boum boum, ramenant une vie douloureuse dans des endroits de mon corps qui n’ont pas été irrigués de la sorte depuis un petit moment. J’hésite à me rejouer le baiser, titube un peu et renonce, mais c’est trop tard, parce que les mains de Victor ont laissé une trace brûlante dans mon dos, sur mon cou.
— Tu as toutes tes affaires ? demande-t-il, ultra factuel.
De toute façon, il faut que je me calme. Tout ceci, ne l’oublions pas, n’est qu’un stratagème pour éloigner de lui Irène la toxique et pour le protéger des racontars des autres nuisibles de la maison. Un coup de main entre amis. Je ne sais pas si ça a marché, mais en tout cas, je suis sûre d’une chose, c’est que ce baiser était convaincant. Moi, j’étais aux premières loges, et je n’y ai vu que du feu.
Oh, zut, est-ce que j’ai produit un de ces petits bruits gênants qui m’échappent parfois ? Il me semble me souvenir que oui. Victor va-t-il comprendre que je me suis laissé affecter bien au-delà de ce que j’aurais dû ?
Je décide que si nous en parlons, je jouerai les blasées — j’ai simulé, tout comme lui. Je veux bien lui rendre service, mais je ne veux pas me taper le ridicule de laisser un type me déstabiliser alors que je ne suis pour lui qu’une « présence amicale » pas attirante, juste insolite à la rigueur.
Je rassemble mes affaires d’hiver qui sont encore trempées après la bataille de neige, et mes bottes qui heureusement sont encore sèches. Je dois vraiment avoir une dégaine pas possible avec mes bottes à talons, l’article le plus féminin et sexy de ma garde-robe à l’heure actuelle, pas du tout assorties avec l’immense jogging de Victor. J’essaye de rentrer le bas du pantalon de coton dans mes bottes, mais il y en a trop et je laisse tomber, découragée.
— C’est bon, dis-je. Je crois.
J’ai du mal à recouvrer mes esprits. Je décide que si j’oublie quelque chose, ce n’est pas très grave.
Sans oublier de tenir ma ceinture qui commence à se défaire, pour ne pas ajouter à tout ça la honte de perdre mon froc devant lui, je le suis clopin-clopant vers sa voiture.
Le trajet vers la ferme se fait en silence. Ce n’est qu’après avoir négocié le dernier virage sur le chemin de terre qu’il commente notre très bizarre après-midi.
— En voilà une journée chargée en…
Plutôt que de finir sa phrase, il fait un geste vague, et je décide de prendre les devants — définir ce qui s’est passé avant qu’il ait le temps de le faire. Nommer les choses permet de garder sur elles un semblant de contrôle. Je décide de les prendre à la légère.
— Tu m’étonnes, dis-je. Je pense qu’après notre dernière performance, tu devrais être tranquille pour une heure ou deux.
Mais en réalité, je n’en suis pas si sûre. J’espère qu’Irène se sera laissé décourager par notre baiser dramatique, mais si elle était du genre combattif et revanchard ?
— Ouais, fait Victor. Désolé de ne pas t’avoir prévenue. Ça va aller ?
— Bien sûr que ça va aller. Pourquoi ça n’irait pas ?
Il me coule un regard en biais, puis ralentit dans la cour de la ferme.
— Écoute, Vanessa, je ne veux pas profiter de toi. Si tu décidais de ne jamais revenir dans ce château de fous, je ne pourrais pas t’en vouloir.
Je dois admettre que ce serait sans doute plus sage. Je pressens un problème : je vais me laisser happer par les histoires de Victor. Clairement je n’ai pas vis-à-vis de lui une attitude aussi détachée que je le devrais. C’est normal, non ? On est devenus des amis. Mais rajouter un baiser dans tout ça n’était pas une bonne idée. Je mesure à quel point faire semblant de sortir ensemble était une inspiration tordue. Visiblement une part de moi a décidé de croire à cette histoire bidon. Et je me connais. Je suis une personne entière, jouer la comédie n’est pas mon truc. Le jour où je craquerai vraiment pour un type, je le ferai à fond, il n’y aura pas de demi-mesure. Alors, ça n’a aucun sens de m’intéresser à Victor de cette façon. Il n’est clairement pas disponible, et de toute façon, je ne lui plais pas.
Je ne suis pas non plus une midinette qui se fait des films pour un oui ou pour un non. Les fantasmes adolescents et les relations non réciproques, très peu pour moi. Je n’attends plus après personne dans ma vie affective, ça ne sert à rien. Non, moi, j’ai décidé il y a déjà de longues années de toujours aller de l’avant.
— Ne t’inquiète pas, Victor, dis-je en posant la main sur le mécanisme d’ouverture de la portière. Je peux rester ta présence amicale encore quelques jours. J’ai un petit côté redresseuse de torts et je ne supporte pas les gens comme Irène. Ou Arielle. Ou Lily. Mais je serais honorée de t’avoir pour ami. Et je craque totalement pour ton frère et ta sœur.
J’ouvre la portière.
— Fais-moi signe en cas de problème, et je volerai à ta rescousse.
Je ne lui laisse pas trop le temps de répondre. Je claque la portière et je me dirige vers la cuisine éclairée, dans laquelle j’aperçois d’ici Mia en tenue de réveillon, qui s’affaire aux fourneaux. Je vais me prendre un sacré savon.
Victor n’a toujours pas redémarré quand j’atteins la porte de la ferme. Je me retourne et je lui fais mon plus loufoque salut militaire. Alors seulement il enclenche le contact, m’adresse un appel de phares, et repart dans la nuit.
Dans la cuisine, il règne une température tropicale. Je n’ai pas défait ma doudoune que Mia me tombe dessus.
— Pas trop tôt ! Qu’est-ce que c’est que cette tenue, Vanessa ?
— Des fringues d’emprunt. On a fait une bataille de boules de neige et ce fut un peu intense.
Mia me scrute de son regard sombre, par-dessus ses lunettes en demi-lunes posées au milieu des taches de rousseur.
— Quel est ton programme exactement, jeune fille ? Tu comptes nous gratifier de ta présence un peu, ou bien tu vas disparaître chez tes nouveaux amis riches dès que la table de Noël sera débarrassée ?
Une vague de culpabilité m’envahit.
— Mais non. C’est juste que mon ami a eu besoin de mon aide, Mia.
Elle fronce les sourcils, visiblement elle a du mal à imaginer en quoi moi, Vanessa Lauret, je pourrais aider les gens du Bourg. Mais ce n’est certainement pas moi qui vais l’éclairer sur ce point.
— Et tu n’oublies pas notre rendez-vous du 26, non plus, hein ? vérifie-t-elle.
Le 26, nous allons voir Maman à l’hôpital, comme nous le faisons tous les ans. D’abord le réveillon, puis le jour de Noël, puis la visite à l’hôpital, c’est la tradition.
— Je ne vois pas comment je pourrais l’oublier, grommelé-je.
Mia me fusille du regard et sa voix se fait dure, tranchante.
— J’attends un peu plus de respect de ta part, jeune fille. N’oublie pas d’où tu viens, n’oublie jamais.
Je ne vois pas comment je pourrais. Je sais très bien que ma place n’est pas au Bourg, pas plus qu’à la ferme d’ailleurs.
— Je suis là, soupiré-je, vaincue. Je vais me changer et je te donne un coup de main.
Elle hoche la tête.
— Dépêche-toi.
Je sors à nouveau de la cuisine pour traverser et gagner ma chambre de l’autre côté de la cour. Est-ce que Mia a raison ? Est-ce que je me suis laissé captiver par les histoires du Bourg, et le glamour un peu malsain de la famille de Victor, juste pour échapper aux perspectives sinistres qu’apportent à chaque fois mes propres vacances ? Probablement.
Enfin seule avec mes pensées, je suis bien obligée de m’avouer que je ne sais pas trop ce que je suis en train de fabriquer.
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