Douce imposture de Noël, chap. 23
Tous les jours du 1er au 25 décembre 2020, je publie ici sur mon blog un nouveau chapitre de ma romance de Noël. Elle est aussi disponible sur plusieurs sites (Amazon, Kobo, Apple Books…) Pour accéder aux chapitres précédents et à toutes les infos sur le livre, c’est ici.
VANESSA
L’avantage d’être à la ferme pour Noël, c’est que Paul et Mia s’écroulent avant minuit. Tout en étant croyants, ils ne vont plus guère à l’église, et n’ont aucune raison d’attendre 23 h pour sortir à nouveau dans le froid en bâillant de fatigue. Ça veut dire qu’à cette heure-là, tout est rangé et endormi dans la grande maison. Les volets sont fermés et je reste seule dans la grande cuisine accueillante, à surveiller les dernières braises qui rougeoient dans l’âtre, seule source de lumière avec le spot de l’évier. Je me suis préparé une infusion de camomille pour essayer de digérer tous les mets succulents que j’ai été contrainte d’avaler aujourd’hui. Assise sur une des chaises de bois rustiques dont le paillage s’effiloche, les coudes sur la nappe de Noël rouge semée de petites étoiles dorées, je décide de prendre à nouveau des nouvelles de Victor, parce que je me fais du souci pour lui, et sans doute parce que j’ai besoin d’une présence amicale, moi aussi, quelquefois.
VANESSA : Festivités terminées ici. Dieu soit loué, alléluia. Ça va de ton côté ?
La réponse ne tarde pas à me parvenir.
VICTOR : C’est fini ici aussi. Les derniers retardataires emballent leurs cadeaux — là je parle de Nina et Ray. Je crois qu’ils font des cadeaux communs cette année. Ça va saigner.
VANESSA : Haha. Pourquoi ?
VICTOR : Malgré leurs années d’écart, ils sont très complices, et quand ils s’associent dans une entreprise, quelle qu’elle soit, ça produit des résultats étonnants. Fais-moi penser à te raconter la fois où ils ont ramassé tous les accessoires d’un théâtre dans une vente de liquidation. Avant de me les offrir. Tous les accessoires d’un vieux théâtre, tout poussiéreux, tout mités. Ce fut grandiose.
VANESSA : Oh ! Et vous les avez encore ?
VICTOR : Oui, ils sont ici au château. On ne jette jamais rien ici. Depuis cinq cents ans.
VANESSA : Ça me donne envie de déballer les cadeaux avec vous.
Ça me donne aussi envie de lui demander pourquoi la relation de complicité qui semble si étroite entre son frère et sa sœur ne l’inclut pas, lui, pourquoi il est moins joyeux qu’eux, plus secret. Je ne crois pas que ça soit par manque d’intérêt pour le monde qui l’entoure. Plutôt par pudeur ou par timidité. Les mêmes fragilités qui me donnent envie de le protéger, inexplicablement et avec des résultats très improbables. D’ailleurs, il faudrait vraiment que j’arrête : ça ne mènera à rien de bon. Mais c’est plus fort que moi, je ne sais pas pourquoi.
VICTOR : Viens, alors. Les adultes n’émergeront que vers onze heures.
VANESSA : Je ne sais pas. Mia m’en voudra.
VICTOR : Dis-lui que c’est pour me faire plaisir ?
Je me passe la main sur la figure, soudain fatiguée, désorientée.
VICTOR : D’ailleurs, tu lui as parlé de moi, ou pas ? Juste histoire de synchroniser nos montres.
VANESSA : Non. Je devrais ?
Il y a une pause dans la conversation et je crois l’entendre réfléchir. Est-ce qu’il a vraiment besoin que je joue la comédie sur toute la ligne ? Et moi, je me demande : est-ce que ce serait plus facile, si je rentrais plus profondément dans ce rôle que je ne suis même pas bien certaine de vouloir assumer ? Celui de la petite amie de Noël ?
VICTOR : Je ne pense pas que ce soit crucial, mais fais comme tu veux.
VANESSA : Je crois que je vais éviter de mentir à tout le monde.
Oui, je me contenterai d’endosser ce costume au château. C’est déjà assez fatigant comme ça.
VICTOR : Viens demain.
Il insiste mais j’hésite encore, et je change de sujet, pour gagner un peu de temps.
VANESSA : Tu n’as pas été embêté du tout par la sorcière ?
Si Irène lui tournait autour, est-ce qu’il me le dirait ?
VICTOR : Un peu.
Je me redresse aussitôt sur ma chaise :
VANESSA : Comment ça, un peu ?
VICTOR : Elle a essayé de me manipuler. Elle a profité d’un moment où nous étions seuls pour me faire un numéro de charme, du genre « je regrette d’être partie et ce n’est pas si sérieux avec Ludo ».
Incroyable.
VANESSA : Tu l’as envoyée paître, j’espère ?
Trois points de suspension apparaissent à l’écran, disparaissent, puis reviennent.
VICTOR : Non. Elle est partie avant que je puisse le faire.
VANESSA : Ouf. Ouf ?
VICTOR : Et ensuite, elle a passé le reste de la soirée à me tourner autour à distance, mais elle ne pouvait pas s’approcher davantage, pas devant tout le monde.
Cette fille est une authentique sangsue, un vampire. Pourquoi est-ce qu’il ne m’a rien dit ? J’ai pris de ses nouvelles au moins à trois reprises ce soir. À chaque fois, il a affirmé que tout allait bien.
VANESSA : À moins que tu ne veuilles d’elle à nouveau ? Tu penses que vous avez vos chances, en tant que couple ?
On ne sait jamais. Après tout, je ne le connais pas si bien. Et Irène est définitivement son genre, c’est évident qu’elle lui plait toujours énormément.
VICTOR : Non ! Bien sûr que non. Mais elle arrive encore à m’embrouiller.
VANESSA : Tu as envie de te laisser embrouiller par elle ?
… vérifié-je à nouveau.
La réponse apparaît immédiatement cette fois.
VICTOR : Non. Je ne veux pas.
VANESSA : Alors, la prochaine fois, tu m’appelles. Je suis sérieuse. Tu peux m’appeler à tout moment.
VICTOR : Je n’oserai pas.
VANESSA : Pourquoi ? Les amis, ça sert à ça.
Parce qu’on est amis, hein. Je décide, unilatéralement peut-être, qu’au point où l’on en est, l’appellation de « présence amicale » ne me suffit plus, et que j’ai mérité de prendre du galon.
VICTOR : Merci.
La conversation meurt et nous nous souhaitons bonne nuit. Je passe la fin de ma soirée, jusqu’à une heure tardive, à bricoler sur mon ordinateur, à utiliser l’imprimante de Paul et son antique graveur de CD, et à confectionner une ou deux surprises pour le lendemain.
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