Obsession : Chapitre 10

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Et voici le chapitre du jour…

10. JEANNE

Je respire un grand coup. Louis Destel me considère de ses yeux jaunes et cette fois, son regard me met franchement mal à l’aise. Qu’est-ce qu’il attend ? Que je dise : « ah ça, mais moi aussi ! ».

C’est très mal me connaître.

J’essaye de me remémorer si je lui ai évoqué mes rêves à moi, mais ce n’est pas le cas. Cette concordance des prénoms, cela peut être une simple coïncidence, en mettant les choses au mieux. Si je décide d’être méfiante, je parlerais éventuellement de suggestion. Ce que je pense, au fond, c’est que l’on se fait indéniablement de l’effet, et que l’on est très tentés de projeter chacun sur l’autre une activité subconsciente qui déborde un peu du cadre. 

Voilà, c’est ça. Une sorte de mécanisme psychologique. Je n’aime pas les psys, mais force est de constater qu’on a tous un subconscient, il faut faire avec.

J’admets volontiers que je suis ébranlée. Je viens de rencontrer un type, mon corps et mon ça ont décidé qu’il me plaisait vraiment beaucoup, au point de générer des phéromones et des phénomènes bizarres dans ma mémoire. Et visiblement pour lui c’est pareil, sauf que ça prend la forme d’une caresse fantôme. C’est original, mais après tout, qui suis-je pour jeter la première pierre ? 

Je ne peux cependant pas avouer ni verbaliser cette attraction réciproque, puisque je suis venue ici dans l’intention précise de le pincer la main dans le sac. Il y a quand même une possibilité non négligeable que je sois en train de me faire avoir.  

Je dis : 

— C’est fou, ce rêve, je suis, euh, très flattée. Mais comment peux-tu être sûr que c’est moi ? Excuse-moi, mais là ça fait beaucoup d’un coup. 

J’ai l’impression de le trahir. Il semble déçu et inquiet même s’il est évident qu’il fait tout ce qu’il peut pour rester neutre. Mais il en faut plus pour me convaincre. Tout ça est trop rocambolesque pour moi. 

Je m’empare de mon ordinateur portable. Pour me rassurer et dissimuler mon trouble, je lance PowerPoint et entreprends de relooker un tableau de chiffres particulièrement peu aguichant. 

* * *

Un mouvement attire mon regard et me distrait de mon écran. Louis attise le feu, visiblement plongé dans ses pensées. Je suis captivée par la grâce de ses gestes. Je pourrais l’admirer toute la nuit. 

À la réflexion, j’aurais sans doute d’autres activités à lui proposer. Mais quelque chose me dit qu’il ne sera pas partant, après la façon dont j’ai accueilli sa grande confidence tout à l’heure. 

Je ne veux pas me faire avoir. Les fantômes, ça n’existe pas. 

Je pose le portable à terre, je me lève et je m’étire. Il est 23 h 55. Je vais travailler encore un peu, même si le cœur et la concentration n’y sont pas. J’ai toujours trouvé apaisante la production de ces documents ineptes. Une forme de méditation, en quelque sorte.

Pelotonnée à nouveau dans le canapé, je tarde un peu à m’y remettre. Je suis bien, détendue. Il fait juste un peu froid. Il faudrait que j’aille chercher ma polaire dans mon sac à dos, mais franchement, je suis bien, et je me sens trop paresseuse pour m’éloigner de l’âtre. 

— Jeanne ? demande Louis, et je tourne vers lui mon visage content, un peu engourdi. Ne t’endors pas, Jeanne ! Ce n’est pas le moment. 

— Hum, pourquoi ? 

— Il ne faut pas dormir, dit Louis. Ou alors, on s’en va. 

Il pose sa main sur mon épaule et me secoue gentiment. Ça a l’air important pour lui. Je bouge un peu sur mon siège, j’essaye d’attraper la timbale de café qu’il me tend, mais mes doigts échouent à saisir le gobelet, qui s’écrase à terre dans un bruit de ferraille. 

— Désolée. Je suis fatiguée, il est tard. 

Il se baisse en marmonnant et entreprend d’essuyer la flaque de café avec quelques mouchoirs en papier. Je veux lui dire que ce n’est pas grave, que personne n’a probablement fait le ménage ici depuis des années, mais aucun son ne franchit mes lèvres. Je ne sais plus vraiment si je suis réveillée ou endormie. 

Louis me lance un regard inquiet. 

— Tu es frigorifiée. Laisse-moi te réchauffer. 

L’air préoccupé, il enlève sa polaire et la pose sur moi. Le textile est doux et chaud, il sent la citronnelle et les soirs d’été. Je suis bien, encore plus tentée par un somme. Il me borde dans la veste comme si j’étais un petit enfant, sauf que ses mains qui me tâtent suscitent dans mon corps des réactions plutôt réservées aux plus de dix-huit ans. J’émets un petit soupir d’aise, mais il a repris ses distances. 

— Le château pompe toute notre énergie, m’explique-t-il. Il faut qu’on reste éveillés. Les esprits cherchent la chaleur, ils veulent se lover tout contre les vivants, et quand ils peuvent, ils prennent le contrôle. Une possession, ce n’est pas joli-joli. Quant aux exorcismes… disons que c’est une expérience que je ne souhaite à personne, et la moitié du temps, ça ne marche pas. 

Il est mignon quand il dit ça. Je me mets à rire doucement, je n’ai aucune envie de me secouer. Je suis bien. Mes paupières sont très lourdes et mes yeux se ferment. 

— Jeanne, prévient-il, je suis sérieux, c’est dangereux. 

Mais il n’y a rien à faire. Personne ne me dérobera ces quelques instants de torpeur. Même pas un type sculptural avec des cuisses en acier et des yeux de chat. Je m’en fiche, je suis bien. 

Je perçois de loin le timbre chaud de sa voix qui me demande de me réveiller, de rester avec lui, les yeux ouverts… mais je ne cherche plus à lutter.

J’ai encore conscience de sa présence, mais je crois bien que je me suis assoupie. C’est comme si une partie de ma personne dormait du sommeil du juste, tandis qu’une autre poursuit la conversation pour donner le change. Je m’entends parler d’une voix traînante : 

— Il ne faut pas se faire du souci comme ça, Louis, c’est mauvais pour la santé.

— Mais si, dit Louis, bien sûr que je suis inquiet. Vauvey est hanté, je viens d’en avoir la preuve.

— Fais-moi confiance, dis-je. Tu n’as rien à craindre. Ça va aller. 

Soudain réveillée, je me lève, mue par un regain d’énergie. Je sens toujours la langueur qui s’était emparée de moi tout à l’heure, mais un instinct me dicte de me rapprocher de lui, je ne peux plus résister, un pas devant l’autre, j’avance vers lui. Je vois très bien l’effet que je lui fais. Mon corps avec lequel je suis si souvent en bisbille est devenu un objet de désir et cela me donne de l’assurance. Je m’arrête à moins d’un mètre de lui. Je suis assez près pour entendre l’infime soupir qui s’échappe de sa bouche et qui me touche beaucoup plus que n’importe quelle parole. 

Il me veut, je le lis sur son visage et dans tout son corps. 

Cette certitude détonne quelque chose au plus profond de moi. J’ai les jambes en coton et mes genoux voudraient fléchir, mais quelque chose m’oblige à continuer, à m’approcher tout près de lui, au point que je sens sa respiration sur mon visage. La caresse de son souffle sur mes lèvres fait quelque chose de totalement inédit à mon imagination. Pourtant, je suis surprise quand j’entends ma propre voix s’élever avec assurance. Je ne la reconnais pas tant elle est rauque, basse, mélancolique. 

— J’ai envie de faire ça depuis tout à l’heure, dis-je.

Je passe ma main très doucement sur sa joue et je vois ses pupilles s’agrandir jusqu’à noyer son regard d’un éclat sombre, tandis que le cercle de ses iris se réduit à une mince bande dorée. 

— Jeanne… 

Je l’arrête tout de suite. 

— Assez discuté, dis-je. J’ai entendu tout ce que j’avais besoin de savoir. Je t’ai attendu si longtemps. 

(Hein ? Non, je n’ai pas attendu du tout, je suis arrivée ce midi par l’A77, c’est la première fois qu’on se voit, on se connaît depuis quelques heures à peine). 

Quelque chose, une force sourde, écrase ma réticence dans l’œuf, éteint ma protestation, et je me rapproche encore de Louis. Mon cœur trébuche dans ma poitrine, mais mon pas est sûr. 

— Cette fois, Louis, tu ne m’échapperas pas. 

Il me lance un coup d’œil surpris avant de répondre : 

— Je ne crois pas que ce soit cela, notre problème. J’ai bien l’impression que c’est plutôt l’inverse. Tu vas partir en courant, ou tu vas rester un peu ? 

Quoi ? Qu’est-ce qu’il dit ? Comment peut-il savoir ? 

Mais la force qui m’a poussée jusqu’à lui balaye à nouveau mes doutes et je m’entends proposer de la même voix grave et légèrement voilée :

— Tu sais ce que j’ai envie de te faire, Louis ? J’ai eu tout le temps du monde pour y réfléchir. Je vais te dépouiller de tous tes vêtements ici au coin du feu, de t’admirer sous toutes les coutures, de te caresser jusqu’à ce que tu n’aies plus un millilitre de sang dans le cerveau. 

Il déglutit, passe sa langue sur ses lèvres et je tente de mordre cette bouche charnue si appétissante. Mais il se recule. 

— Et après ? veut-il savoir. 

Sa voix a baissé de plusieurs tons et mon cœur s’est mis à battre très vite. 

Je continue : 

— Après, tu vas t’allonger sur le dos et je vais, tout doucement, venir m’empaler sur ta queue. 

Je n’en reviens pas moi-même de prononcer ces paroles crues à voix haute. L’ambiance y est sûrement pour quelque chose. Dans cet endroit sinistre et coupé du monde, je ne suis pas la même personne. J’adresse à Louis un sourire délibéré et je vois tous ses muscles se tendre. 

— Je vais bouger lentement contre toi, je vais me caresser sur ton corps. Je te laisserai sortir puis entrer à nouveau en moi, très profondément, mais avec une telle lenteur que tu ne sauras même plus si je suis en train de te baiser ou de te torturer. 

Il grogne et je risque un œil vers son entrejambe. Ouaip. Il apprécie.

— Je veux t’emmener à l’extrême limite, m’entends-je dire. 

Je ne suis pas sûre de ne pas être déjà, moi-même, à l’extrême limite de ce que je peux endurer. Mes joues me brûlent et doivent être cramoisies. 

Louis Destel arque un sourcil. Évidemment, ma couleur tomate n’a pas dû lui échapper. 

— Et ensuite ? demande-t-il. C’est dangereux de pousser un homme dans ses retranchements. 

Je suis prête à battre en retraite, mais la même influence, celle qui m’attire vers lui depuis tout à l’heure, continue de me soutenir. 

— C’est ça l’idée, dis-je. Je vais jouer avec tes nerfs jusqu’à ce que tu perdes toute forme de contrôle. 

Qu’est-ce que je suis en train de raconter ? Ce n’est tout de même pas l’unique verre de Pouilly qui a pu me monter à la tête de cette façon ? Si c’est le cas, il va falloir que je m’en paye une caisse.  

Et s’il me prend au mot, s’il souscrit à mon fantasme, est-ce que je serai capable de délivrer, comme ils disent dans mon job ? 

Bah, il est bien trop tard pour poser ce genre de question.

— Tu joues avec le feu, tu vas te brûler, gronde Louis. 

— On va bien voir, dis-je. Et maintenant, déshabille-toi s’il te plaît. 

Il semble hésiter. Il a l’air à la fois envoûté et inquiet. 

— Jeanne ? C’est bien toi ? 

— Mais oui, je grogne. Qui veux-tu que ce soit ? 

Comme il ne se dévêt pas tout à fait assez vite à mon goût, j’attrape la boucle de sa ceinture. Louis prend une grande inspiration, un spasme secoue son corps. Le bout de mes doigts touche la peau tendre de son bas-ventre et je sursaute à mon tour. Un grondement d’approbation s’échappe de ma gorge.

— Ne t’inquiète pas, Louis, nous n’allons pas te manger. 

(Nous ? OK, je me sens définitivement un peu bizarre, c’est vrai.)

Je soupire : 

— C’est bon de te retrouver, Louis, tu m’as tellement manqué. 

La main de Louis se pose sur mon poignet, m’écarte de lui, doucement, mais fermement. 

— Jeanne ?

Il me regarde d’un air suspicieux. 

Cette fois, je suis d’accord, je me rends compte de l’étrangeté des paroles que je prononce. 

Je sens la force qui m’anime depuis tout à l’heure s’effondrer et disparaître dans les profondeurs de mon être. 

Je me recule et me laisse tomber dans le canapé, un peu sonnée. Louis me regarde en fronçant les sourcils. 

— Qu’est-ce qui vient de se passer, là ?

Je réponds d’une toute petite voix hésitante (une toute petite voix pour moi, Jeanne Scarlatti) : 

— Juste un coup de chaud, je crois. C’est probablement les hormones. Peut-être le manque de sommeil.

Il rit et fait un mouvement de tête incrédule : 

— Tu as senti une présence ? Tu peux me le dire. Je te croirai. Moi aussi j’ai… 

Ma parole, il a l’air presque soulagé. Je nie en bloc. Non, non, non. Pas de présence. Juste mon ça en rut, c’est déjà bien suffisant, déjà bien assez gênant. 

— Jeanne, dit Louis, je suis sérieux. Je pense que l’esprit du lieu vient d’essayer de prendre possession de ton corps.

La suite demain ! Ou bien ici.

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